Philosophie gnostique
Le Chant de la Perle est le plus célèbre poème de la littérature syriaque. Le texte syriaque nous en a été conservé par un seul manuscrit, le manuscrit du British Museum qui date de 936 ap. J.-C.
J-É. Ménard
Le Chant de la perle (aussi appelé Hymne de la perle ou Hymne de l’âme) se trouve dans les Actes de Thomas, un ouvrage apocryphe dont on a un seul manuscrit en syriaque. Ce poème raconte l’exil et la rédemption de l’âme, sa descente dans la matière et sa remontée vers le Père. Il existe plusieurs traductions françaises de ce texte, cependant la seule traduction littérale que j’ai été en mesure de trouver est celle que je vous présente ici, celle de monsieur Jacques-Étienne Ménard.
Note explicative
Les crochets obliques (< >) indiquent que la leçon suivie, très généralement celle de Preuschen, ne concorde pas tout à fait avec celle du manuscrit. Les parenthèses ordinaires signifient l’addition d’un mot.
Hymne de l’Apôtre Jude Thomas au pays des Indiens. |
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A – La mission | |
1 | Lorsque, tout petit enfant, <j’habitais> dans mon royaume, la maison de mon Père |
2 | et que la richesse et le <luxe> de mes éducateurs me comblaient de joie, |
3 | c’est de l’Orient, notre région, qu’après m’avoir équipé, mes parents m’envoyèrent |
4 | et qu’avec la richesse de notre trésor ils (me firent) peut-être, en me l’attachant, un paquet. |
5 | II était gros et pourtant (si) léger qu’à moi seul je pouvais le porter : |
6 | c’était de l’or de la maison des dieux, de l’argent <des grands trésors>, |
7 | des <calcédoines d’>Inde, des (pierres) chatoyantes <du> Royaume de Kushân. |
8 | Ils me ceignirent du diamant qui taille le fer. |
9 | Ils me retirèrent (le manteau) resplendissant que, dans leur amour, ils m’avaient fait, |
10 | et ma toge de pourpre qui était ajustée à ma mesure, tissée ; |
11 | ils conclurent avec moi une entente et l’écrivirent dans mon cœur, pour que je n’oublie pas : |
12 | Si tu descends au fond de l’Égypte et que tu rapportes la perle, l’unique, |
13 | celle qui est au fond de la mer, (dans les) parages du serpent qui écume, |
14 | tu re-vêtiras ton (manteau) resplendissant et ta toge qui repose sur lui, |
15 | et avec ton Frère, notre second, tu <deviendras héritier> dans notre Royaume. |
B – La descente et l’oubli | |
16 | Je quittai l’Orient, je descendis, avec moi étaient deux compagnons, |
17 | car le chemin était périlleux et difficile et j’étais trop petit pour le parcourir. |
18 | Je franchis les frontières de la Mésène, le point de rencontre des commerçants de l’Orient, |
19 | et je parvins au pays de Babel et je pénétrai dans les murs de Sarbüg. |
20 | Je descendis jusqu’au fond de l’Égypte et mes compagnons se séparèrent de moi. |
21 | Je me dirigeai directement vers le serpent, j’habitai les parages de sa demeure (me disant) : |
22 | pendant qu’il sommeillera et se reposera, je lui ravirai ma perle. |
23 | Et, parce que j’étais seul, que j’étais isolé, je fus un étranger pour les gens de ma demeure. |
24 | Mais je vis là un fils de ma race, un fils de nobles, d’<Orient>, |
25 | un beau jeune homme gracieux, |
26 | fils d’oints (ou : de l’onction) ; |
27 | et je fis de lui mon confident, <mon> compagnon à qui je communiquai mon affaire. |
28 | Je le mis en garde contre <l’Égypte> et contre le contact des êtres impurs. |
29 | Et je portai leur vêtement, de peur qu’il ne me <soupçonnent> d’être venu de l’extérieur |
30 | pour m’emparer de la perle, et qu’<ils> (n’)<excitent> le serpent contre moi. |
31 | Mais par suite de quelque chose ils remarquèrent que je n’étais pas un fils de leur pays |
32 | et se lièrent à moi dans leurs perfidies, même, ils me donnèrent à manger de leur repas ; |
33 | et j’oubliai que j’étais le fils des Rois et je servis leur roi. |
34 | Et j’oubliai la perle au sujet de qui mes parents m’avaient envoyé. |
35 | À cause de la lourdeur de leurs nourritures je tombai dans un sommeil profond. |
36 | Tout ce qui m’arriva, mes parents le remarquèrent et furent affligés pour moi. |
37 | II fut proclamé dans notre Royaume que chacun devait venir à notre porte, |
38 | les Rois et les Chefs de Parthie et tous les Grands de l’Orient. |
39 | Ils prirent à mon sujet la décision, que je ne devais pas être abandonné en Égypte, |
40 | et ils m’écrivirent une lettre, et chaque Grand y apposa son Nom : |
41 | « De ton Père, le Roi des Rois, et de ta Mère, l’impératrice de l’Orient, |
42 | et de ton Frère, notre second, à toi, notre fils en Égypte, salut. |
43 | <Réveille-toi> et lève-toi de ton sommeil, entends les paroles de notre lettre ; à cause de leur fidélité, ils en avaient le soin. |
44 | souviens-toi que tu es fils de Rois, vois l’esclavage, qui tu sers, |
45 | souviens-toi de la perle au sujet de qui tu es parti en Égypte ; |
46 | rappelle-toi ton (vêtement) resplendissant, pense à ta toge glorieuse, |
47 | pour que tu t’en revêtes et que <tu (en) sois paré>, que dans le livre des héros ton Nom soit prononcé, |
48 | et qu’avec ton Frère, notre successeur, tu <deviennes héritier> dans notre Royaume. » |
49 | Ma lettre était une lettre que le Roi de sa main droite avait scellée, |
50 | loin (des yeux) des méchants, des fils de Babel, et des démons <révoltés> de Sarbüg. |
C – L’appel et le retour | |
51 | Elle s’envola sous la forme de l’aigle, le roi <de tous> les oiseaux, |
52 | elle vola et se posa près de moi et elle devint toute parole. |
53 | À sa voix et à la voix de son cri je me réveillai et je me levai de mon sommeil, |
54 | je la pris contre moi et l’embrassai, je défis <son sceau> et lus. |
55 | Tout comme (c’)était gravé dans mon cœur, (ainsi) étaient écrites les paroles de ma lettre. |
56 | Je me souvins que j’étais fils de Rois et que mon élévation répondait à sa nature, |
57 | je me rappelai la perle au sujet de qui j’avais été envoyé en Égypte. |
58 | Je commençai à pratiquer des rites magiques autour du serpent terrifiant et écumant. |
59 | Je l’assoupis et l’endormis, en prononçant sur lui le Nom de mon Père, |
60 | le Nom de notre second et de ma Mère, la reine de l’Orient, |
61 | je m’emparai de la perle et je me retournai pour me diriger vers la maison de mon Père. |
62 | Leur vêtement sale et impur, je m’(en) dépouillai et l’abandonnai dans leur pays, |
63 | je pris le chemin <pour venir> vers la lumière de notre région, l’Orient. |
64 | Et ma lettre, celle qui m’avait réveillé, je la trouvai devant moi dans le chemin ; |
65 | de même que par sa voix elle <m’>avait éveillé, ainsi par sa lumière elle me dirigeait. |
66 | Car la soie de Séleucie (?) brillait devant moi de son éclat |
67 | et la direction de sa voix ranimait aussi mon élan |
68 | et, dans son amour, m’<attirait>. |
69 | Je sortis, passai à Sarbüg, laissai Babel sur ma gauche |
70 | et arrivai dans la grande Mésène, au port des commerçants, |
71 | situé sur le rivage de la mer. |
D – Le vêtement royal | |
72 | Mon (vêtement) resplendissant, que j’avais enlevé, et ma toge, dont il était recouvert, |
73 | me furent portés là des hauteurs d’Hyrcanie de la part de mes parents |
74 | par leurs trésoriers ; |
75 | Tout en ne me souvenant pas de sa dignité, parce que c’est dans mon enfance que je l’avais quitté chez mon Père, |
76 | subitement, dès que je le rencontrai, tel mon miroir, le (vêtement) resplendissant me ressembla : |
77 | tout entier, je le vis en moi-même <tout entier> comme <moi-même tout entier>, je me retrouvai en lui, |
78 | car deux nous étions dans la division, mais un à nouveau étions-nous dans une unique forme ; |
79 | de même, pour les trésoriers, qui me l’avaient apporté, je vis aussi |
80 | qu’ils étaient deux (et) une seule forme, car un unique sceau était gravé sur eux, (celui) du Roi |
81 | qui me retournait l’<honneur>, <le gage de ma> richesse par leurs mains, |
82 | mon (vêtement) resplendissant orné de couleurs superbes (et) <brillantes>, |
83 | d’or et de béryles, de calcédoines et de (pierres) chatoyantes |
84 | et de <sardoines> de <teintes> variées. Il était aussi ouvragé selon sa grandeur, |
85 | avec des pierres de diamant, toutes ses coutures bien cousues ; |
86 | et l’image du Roi des Rois était <tout entière> peinte sur toute son étendue, |
87 | et <comme> les pierres de saphir, ainsi était-il, dans sa hauteur, de couleurs variées. |
E — La remontée | |
88 | Et je vis en plus que tout en lui était secoué par les mouvements de <ma connaissance>, |
89 | et comme à parler, je vis aussi qu’il s’apprêtait. |
90 | J’entendis le son de ses mélodies que <dans sa descente> il murmurait : |
91 | « C’est moi le plus dévoué des serviteurs que l’on a dressé au service de mon Père, |
92 | <j’ai senti> aussi en moi que ma stature, comme ses œuvres, a grandi. » |
93 | Et dans ses élans royaux il tend de tout son être vers moi |
94 | et dans la main de ses donateurs se précipite pour que je le prenne ; il vint s’attacher à moi, |
95 | et mon amour me presse de courir à sa rencontre et de le recevoir. |
96 | Je tendis (mon corps) et le reçus, je me parai de la beauté de ses couleurs, |
97 | et ma toge miroitante de couleurs, je <me> vêtis <tout entier> d’elle tout entière. |
98 | Je l’endossai et je suis remonté à la porte du salut et de l’adoration. |
99 | Je courbai la tête et j’adorai la splendeur de mon Père <qui> l’avait envoyé vers moi, |
100 | dont j’avais suivi les ordres, comme il avait accompli ce qu’il avait promis. |
101 | À la porte de ses satrapes je me mêlai à ses Grands ; |
102 | car il se réjouit à mon sujet et me reçut et j’étais avec lui dans son Royaume, |
103 | et dans l’invocation de son <trône> tous ses serviteurs l’acclamaient, |
104 | <parce qu’>il m’avait promis de (re)venir avec lui à la porte du Roi des Rois, |
105 | et avec <l’offrande de ma> perle de paraître avec lui devant notre Roi. |
Colophon : Fin de l’Hymne de Jude Thomas l’Apôtre qu’il chanta en prison. |